Le double accompagnement d’équipe

Comment deux espaces distincts participent à une cohésion institutionnelle 

Analyse des pratiques, Régulation, Groupe de paroles. Depuis plusieurs années l’IFMAN s’est engagé dans ce long processus qu’est l’Accompagnement d’Equipe. De plus en plus souvent l’IFMAN propose d’accompagner parallèlement les professionnels et les cadres, les séances étant assurées par deux formateurs distincts. L’objectif est de parvenir à dénouer les tensions et permettre une parole plus authentique. 

Dans chaque institution l’histoire n’est jamais la même, et si certaines équipes proposent des sujets dès la première séance, il faut parfois une année avant que la confiance ne s’installe réellement. Car là réside le véritable enjeu : au-delà de la prise de recul sur des pratiques éducatives ou des situations ponctuelles, l’accompagnement d’équipe doit faciliter la communication entre les professionnels et entre les professionnels et les cadres. 

Ces espaces de parole permettent de se dégager d’un événement ou d’une période difficile, pour améliorer la cohérence de l’équipe, sa solidarité, et la reconnaissance de chacun. Il s’agit pour le formateur de l’IFMAN d’être méticuleux sur la construction de la confidentialité et du respect mutuel pendant les 2h30 à 3h que durent ces séances toutes les 4 à 6 semaines. Alors comment être à la fois l’accompagnateur des professionnels et des cadres ? 

En contact avec le cadre 

Au départ, le choix a été fait de ne pas ouvrir d’emblée l’accompagnement d’équipe aux cadres hiérarchiques. En effet leur présence peut freiner la liberté nécessaire à une libre parole. Comment dire ses difficultés devant un supérieur hiérarchique qui a nécessairement une mission d’évaluation sur le travail du salarié ? Il nous a donc paru pertinent de proposer d’abord un espace dégagé de son regard. 

La mise en place d’un accompagnement d’équipe commence par une rencontre entre le formateur de l’IFMAN et l’équipe de direction : négociation des modalités du contrat, puis écoute et discussion avec le chef de service qui ensuite présentera l’intervenant et la démarche à son équipe. La confidentialité est ensuite de mise, et si l’intervenant a le souci de rester en contact avec le ou les cadres de direction, il ne révèle ni les contenus, ni les tensions qui peuvent émerger. Mais il entend les ressentis d’un cadre, et peut infirmer ou partager l’analyse des difficultés de fonctionnement, s’il y en a : il s’agit alors d’aider l’équipe et le cadre à trouver les moyens de se parler. 

À l’issue des séances, des participants prennent parfois assez d’assurance pour aller faire une demande ou une proposition à leur chef de service. S’ils sont accueillis, entendus dans leur besoin, ils découvrent qu’il est possible de faire bouger les choses à leur niveau, et se réapproprient des fonctionnements qu’ils avaient parfois inconsciemment abandonnés à « l’autorité » du supérieur hiérarchique, qui pour sa part ne demande souvent qu’une chose : que son équipe prenne des initiatives ! 

Lors d’une analyse de pratique, l’équipe soulève un problème d’aménagement des locaux qui nuit à la mise en place d’une activité. La jeune éducatrice en charge du groupe vient d’arriver, elle s’est adaptée à la manière de faire de l’ancienne collègue, sans y trouver du confort. L’équipe réalise qu’il suffirait simplement d’ôter un morceau de cloison pour que son problème soit solutionné. Deux participants proposent d’en référer au directeur. Un mois plus tard la cloison n’existe plus, et l’éducatrice peut mener des activités communes ou individualisées avec les sept enfants de son groupe, sans jamais perdre un enfant de vue. 

Le rendez-vous ponctuel 

Un autre fonctionnement possible, c’est la prise de rendez-vous : pendant une heure de séance le cadre est invité à venir discuter avec son équipe en présence de l’intervenant, et sur une thématique précise : c’est toujours un moment riche en émotions la première fois, tant les groupes craignent parfois de blesser leur cadre en osant questionner le fonctionnement, même si cette remise en question est accompagnée d’une proposition constructive. En effet, si d’un côté le groupe peut critiquer aisément la personne en charge de l’animer, il se retrouve aussi dans une forme de protection. Il y a aussi la peur de représailles. 

Ces mécanismes de défense, le formateur de l’IFMAN en est conscient. Dans son animation, il a pour mission de garantir le cadre et de protéger chacun, de reformuler une parole maladroite, et de stopper si nécessaire quand les participants (ou le chef de service !) dérapent vers un sujet conflictuel qui n’était pas à l’ordre du jour. Si le conflit est nommé, il ne doit jamais se régler dans l’émotion, mais avec la prise de recul qu’offre le temps. 

Et si cette première rencontre a été bien vécue par les deux parties, alors des rendez-vous réguliers peuvent se mettre en place. 

Une équipe ne comprend pas les recadrages de son chef de service qui, s’ils semblent pertinents, sont parfois vécus comme brutaux, directs, voire agressifs. Durant le rendez-vous animé par le formateur IFMAN, chacun réussit à nommer son émotion et son besoin, et le chef de service réalise que ses besoins d’efficacité et de proximité ou sa familiarité peuvent être mal interprétés. Il invite alors son équipe à l’interpeller quand ces situations viendront à se reproduire, et s’engage à plus de vigilance. Il fait à son tour des demandes sur les modes de communication, et chacun repart apaisé et enrichi par cette discussion « authentique ». 

La participation à une séance 

En fonction de la proximité d’un chef de service avec son équipe, il est parfois possible d’inviter celui-ci à participer pleinement à une séance. 

C’est alors pour l’intervenant une jonglerie entre analyse des pratiques, régulation, et recadrage : les questions de fonctionnements institutionnels ne doivent pas envahir la séance, et quand une question « technique » est soulevée, le cadre est en charge de la relever et de la traiter dans une réunion de fonctionnement avec son équipe. Il est toujours intéressant d’entendre les positionnements professionnels de chacun, qu’il ou elle soit maîtresse de maison, éducateur, animateur, personnel médical ou cadre. Entendre les difficultés ou la souffrance des uns et des autres redonne sens au travail collectif. 

C’est aussi un moyen pour chacun de percevoir des difficultés qu’il n’avait pas pris le temps d’entendre : la détresse d’un professionnel qui a été « bousculé » par un usager, ou le désarroi d’un cadre qui exige des professionnels le respect simple d’une règle de vie et qui se voit contraint de la rappeler une multitude de fois… Simplement parce que s’il a été écouté, il n’a pas été vraiment entendu… Et voilà que des participants comprennent soudain la difficulté de cette fonction : encadrer une équipe d’adultes si peu enclins parfois à respecter les règles qu’ils sont censés tenir face aux usagers. Oui, une institution, c’est aussi plein de paradoxes ! 

À noter que si les chefs de services ou la direction peuvent participer de temps à autre à l’accompagnement d’équipe, il est bon qu’ils offrent aussi des espaces « vides », dégagés de leur présence. S’il veille sur son équipe, un cadre est toujours un peu ressenti, inconsciemment, comme surveillant. 

Le double accompagnement d’équipe 

Il est des institutions où ces dispositifs ne sont pas adéquats : l’inconscient à l’oeuvre dans l’institution, le poids de l’histoire, la difficulté des équipes à assumer une parole constructive, ou la difficulté d’une équipe de cadres à accueillir cette parole, font que l’accompagnement d’équipe n’arrive pas à son objectif. Les groupes de paroles peuvent s’enliser dans la plainte, la défaite, le pessimisme, et le refus du « pas de côté ». Les mécanismes de défense de chacun sont pleinement à l’oeuvre, et nous sommes là dans le pire des scénarii. Parfois c’est simplement la taille de l’institution qui génère l’incompréhension et la distance entre les personnes, voire les rumeurs. 

Pour aider les institutions en difficulté, ou pour favoriser l’émergence d’une culture commune dans les institutions de grande envergure, l’IFMAN propose le double accompagnement d’équipe. Pour cela deux intervenants sont mobilisés : l’un va travailler avec les équipes, l’autre avec les cadres. Ils ne partagent pas le contenu de leurs séances respectives. Ils ne sont pas là pour faire un audit ou devenir des acteurs internes de l’institution. Ils sont des tiers extérieurs offrant, dans leur cadre respectif, leur écoute empathique des participants concernés et leur aide à l’analyse des situations et processus évoqués. 

Toutefois ce dispositif a le risque de n’être pas complètement étanche, car les intervenants se croisent au sein de l’IFMAN. Il est posé entre eux une règle déontologique. Tout partage avec leur collègue à propos d’une difficulté rencontrée au sein de cette même institution doit être triangulée par un élément tiers : un temps de supervision commune avec un intervenant extérieur, un espace de régulation centré sur leur ressenti et non sur l’institution, ou tout moyen par lequel leur parole partagée est contrôlée via une instance tierce. 

Ce double accompagnement d’équipe, à l’oeuvre depuis 3 ans dans plusieurs lieux, porte déjà ses fruits. Si les équipes et les cadres ne se rencontrent pas forcément lors de séances communes, les uns et les autres participent au même processus qui favorise une détente collective, car ils prennent du recul sur leur propre ressenti émotionnel. Cela permet à chacun, à chaque niveau, de révéler l’humain derrière le professionnel et de puiser de l’énergie professionnelle à travers l’accueil offert par ses propres pairs. Alors s’accroît la cohésion au sein de son équipe. 

Une équipe de professionnels qui parvient à se parler de ses propres difficultés devient plus cohérente et plus fluide, les usagers le ressentent, consciemment ou inconsciemment, et y trouvent de la sécurité. Une équipe de cadres qui parvient à se parler de ses propres difficultés devient elle aussi plus cohérente et plus fluide, les professionnels le ressentent à leur tour et y trouvent de la sécurité. 

À la sortie d’une séance d’analyse de pratique, une équipe d’éducateurs échange encore dans le couloir sur la question traitée : comment sanctionner un jeune adolescent qui pose transgression sur transgression ? Leur chef de service passe par hasard et se joint à la conversation : il leur avoue que la veille, il a travaillé cette question avec ses collègues de la direction dans son propre espace IFMAN. Si aucune information ne filtrera ce jour-là quant aux orientations prises de parts et d’autres, les éducateurs repartent avec la conviction que chacun, à son niveau, oeuvre dans la même voie. 

Quel merveilleux mot que « collègue » : étymologiquement, c’est la rencontre entre co (avec) et le leg (la loi, l’héritage)… Oui, les cadres et les équipes éducatives d’une institution sont ensemble, héritiers d’un même projet, d’une même loi, et ils ont vocation à être en cohérence pour cela. C’est dans cet écho que le « double Accompagnement d’Equipe » trouve tout son sens à l’IFMAN. 

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Le double accompagnement d’équipe, Johann Lachèvre, février 2013 

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