La sanction, un outil éducatif incontournable

Une question délicate 

S’il est un sujet qui préoccupe les professionnels de l’éducatif et du social, c’est bien celui de la sanction. Les enseignants, éducateurs, animateurs et autres responsables d’enfants ou d’adolescents se sentent très démunis pour répondre aux transgressions de ceux-ci. « Nous avons tout essayé, la gentillesse, la douceur, la punition… il ne change pas et ne veut rien savoir ». 

La tentation peut alors être grande de laisser tomber, ou au contraire d’entrer dans un rapport de forces qui risque de durcir les positions de chacun. 

Une mission éducative 

La mission de tout éducateur est de proposer un cadre et une relation qui permettent à l’éduqué d’apprendre à exercer une citoyenneté responsable. Il est légitime pour l’adulte de ressentir de la fierté et de la satisfaction s’il constate une évolution dans ce sens. Il est aussi légitime de ressentir de l’amertume, du découragement ou de la déception dans le cas contraire. 

Pour autant, les ressentis de l’adulte ne peuvent seuls tenir lieu de critères pour qualifier l’action éducative. Eduquer n’est pas demander au jeune de se conformer aux besoins et aux désirs de l’adulte, mais bien lui proposer ce qui lui permettra de grandir en autonomie et en responsabilité pour sa propre vie. Le jeune a aussi un vécu. Il est inscrit dans un groupe au sein duquel se jouent des influences réciproques. 

Une question de société 

La pression sociale, par le biais d’un discours politique volontariste, ajoute à ce qui peut devenir une obligation de résultat, statistiques et chiffres à l’appui. Il a même été envisagé de signaler tout enfant un peu trop agité dès l’âge de trois ans, comme potentiellement condamné à devenir délinquant. Autant il est nécessaire de tout mettre en oeuvre pour faire baisser la violence et permettre une vie collective apaisée, autant il est dangereux de stigmatiser quelqu’un et de le réduire à ses actes, si difficiles à supporter soient-ils. La vie est changement, les êtres humains sont complexes. Nul ne naît bon ou méchant par nature et l’éducation a pour objectif de permettre à chacun de trouver une place juste parmi les autres humains, avec la capacité de créer des relations nourrissantes et empathiques. 

La sanction est donc au coeur d’une problématique dont il est essentiel de prendre en compte tous les paramètres. Autrement le risque est grand d’abandonner l’enfant à sa violence et à sa souffrance, ou à l’inverse de rentrer dans une attitude comportementaliste, uniquement répressive, qui devient un dressage. Celui-ci apportera peut être un peu de tranquillité pour les autres, mais est ce ainsi que l’on s’humanise ? Qui ne se souvient des bêtises qu’il a faites lui-même enfant et qui ne l’ont pas empêché de se construire socialement, personnellement et relationnellement ? 

Entre laxisme et abus d’autorité, comment alors élaborer et tenir une sanction éducative ? 

Le rapport à la loi 

Les adultes qui ne transgressent jamais sont sans aucun doute rares et exceptionnels. Il en est même qui tentent des petits arrangements avec la loi. D’autres qui cherchent à éviter la responsabilité de leurs actes, par des mensonges, des justifications ou des excuses pas toujours très honnêtes. Il est parfois surprenant de voir des adultes demander à l’enfant une perfection qu’ils ont eux même du mal à atteindre. Pourtant c’est à l’adulte de transmettre la loi ou la règle et c’est lui qui sert de référent, voire de modèle identificatoire à l’enfant dans sa construction. Exiger d’un enfant qu’il mette sa ceinture de sécurité dans la voiture alors que le conducteur se faufile entre les limitations de vitesse ne permet ni de donner sens, ni d’intégrer la Loi. Il peut être intéressant que chaque adulte se pose la question de son propre rapport à la Loi. Car cette posture indique une façon d’être au monde qui transparaît dans les relations et l’exercice de l’autorité. De même il serait bon de s’interroger sur ce que signifie transmettre la Loi. Que transmettons-nous réellement ? 

La loi, un apprentissage 

Aucun groupe humain ne peut survivre sans lois, quelles que soient celles qu’il se choisit. Transmettre la Loi dans son sens profond c’est signifier à l’enfant : « Tu es des nôtres ». Il s’agit donc d’abord d’un accueil chaleureux, en vue d’un apprentissage progressif des règles du jeu de la société à laquelle il appartient. Cet apprentissage se fait par la parole, par l’exemplarité et à l’intérieur du contexte plus large des médias, des copains, de la rue… Pour que la Loi soit intégrée, elle doit avoir du sens (signification) et prendre le sens (direction) de l’intégration dans le groupe d’appartenance. Autrement dit, plus les adultes seront cohérents avec leur discours et entre eux, plus il sera aisé pour l’enfant d’intégrer la Loi et d’en accepter les contraintes. C’est la voie pour nourrir le besoin d’appartenance à un groupe ou une communauté. Pour l’adulte, la loi ou la règle permet en outre une mise à distance de ses légitimes émotions, fatigue ou humeurs… Il est lui-même soumis à la Loi. La loi ce n’est ni l’arbitraire, ni la soumission au maître. 

Une promesse de liberté 

La Loi, les règles ont pour fonction de satisfaire du mieux possible les besoins des individus. Même si ces besoins sont parfois paradoxaux. La liberté et la sécurité sont ainsi deux besoins à prendre en compte, bien qu’étant apparemment contradictoires. La loi délimite un espace où peuvent s’exercer les droits de chacun dans la réciprocité. C’est parce que nous apprenons tous le même code de la route que nous pouvons nous déplacer en sécurité et décider de notre itinéraire. Sous son apparence contraignante, la loi est donc promesse de liberté. 

Pas de liberté sans responsabilité 

La transgression est un dépassement de la limite posée par la loi ou la règle. Les grands leaders de la non-violence appelaient à la désobéissance civile, par conséquent ils incitaient à transgresser la loi. Mais cette désobéissance était publique, annoncée, assumée et avait pour objectif d’améliorer la loi pour la rendre plus juste. Il s’agit bien alors d’un acte de liberté. « Il existe deux catégories de lois : celles qui sont justes et celles qui sont injustes. Je suis le premier à prôner l’obéissance aux lois justes. L’obéissance aux lois justes n’est pas seulement un devoir juridique, c’est aussi un devoir moral. Inversement, chacun est moralement tenu de désobéir aux lois injustes. … Une loi injuste n’est pas une loi » Martin Luther King. Le plus souvent la transgression a une toute autre signification. Et le « Je fais ce que je veux » est davantage expression d’immaturité que de responsabilité. 

Un message à entendre 

La transgression est cependant un message. Elle peut exprimer la non compréhension, la méconnaissance, la contestation. Elle peut aussi être l’expression d’un malaise ou d’une souffrance. Une manière de signifier ce que les mots n’arrivent pas à dire, soit parce que les mots sont inconnus, soit parce que personne ne les entend. Au-delà du dépassement de la limite, il s’avère donc que la transgression est d’abord une question adressée à l’adulte garant. 

La transgression s’inscrit dans un parcours personnel, en relation avec le garant et le groupe d’appartenance. Elle est signifiante dans une vie particulière. Elle est l’expression maladroite d’un désir ou d’un besoin plus ou moins conscient. Besoin d’être écouté, pris en compte, besoin de comprendre, de reconnaissance, de sécurité, d’appartenance… 

La nécessaire parole 

La sanction est en conséquence la réponse à une question, certes inacceptable dans la forme, mais incontournable, voire vitale pour la personne qui la pose. Répondre à cette question suppose de l’entendre. Entendre le message. Aider à mettre des mots, comprendre l’intention, accueillir le vécu du transgresseur. Faire preuve d’empathie pour le transgresseur est le nécessaire complément du rappel de l’interdit ou de la limite. C’est aussi ce qui permet de juger l’acte et non son auteur. « Certes tu as fait un acte inacceptable, mais tu n’est pas mauvais ». Cette différenciation laisse la place à une évolution possible. Elle ouvre l’avenir. 

Retrouver une juste place 

Si la règle ou la Loi pose les limites de l’interdit, la transgression est le dépassement de ces limites. Transgresser c’est donc sortir de la communauté humaine. C’est s’exclure du groupe. L’objectif de la sanction est donc d’inclure, de ré – intégrer. Elle cherche à recréer un lien de confiance et de sécurité entre tous les acteurs concernés par l’acte posé. Au-delà de la contrainte réparatrice imposée par l’adulte sur le moment, il s’agit d’accompagner dans la durée le jeune afin qu’il apprenne à exprimer autrement ses besoins ou malaises. L’amélioration des relations et de l’estime de soi demande un soutien dans la durée. Cet accompagnement au quotidien vise à offrir au jeune l’opportunité d’apprendre et de mettre en oeuvre des alternatives responsables à ses passages à l’acte. 

Prendre en compte toutes les parties 

Si une vraie écoute et une vraie parole sont possibles, chacun pourra avancer : le transgresseur car son message sera entendu. Il pourra plus facilement assumer ses responsabilités et poser un acte réparateur qui le déculpabilisera. La victime éventuelle sera elle aussi reconnue et pourra évacuer toute tentation de vengeance ou de soumission. Le groupe pourra refonder son vivre ensemble, avec une règle qui reprendra sens pour chacun. Quant au garant, il sera restauré dans sa légitimité. Sa crédibilité sera d’autant plus forte qu’il aura incarné une position d’adulte fiable, rassurant et ferme tout à la fois. Il rappelle le cadre, en redit le sens et signifie à l’auteur de la transgression l’estime qui lui est conservée au-delà de son acte. L’écoute et la prise en compte des besoins de chacun restent le meilleur choix pour faire baisser le risque de récidive. 

Une opportunité 

La transgression puisqu’elle est message, est une opportunité. Pour mettre en mots une question, un besoin à prendre en considération. Pour restaurer ou consolider les relations auteur – victime, pour récréer ou consolider la sécurité ou la confiance à l’intérieur du groupe. Pour réaffirmer la Loi ou la règle, voir les réajuster ou les améliorer. C’est aussi l’opportunité pour le jeune de rencontrer des adultes qui lui donnent le goût de devenir à son tour adulte. Quand tout va mal, la rencontre d’une personne capable de réagir avec fermeté et empathie sans se laisser emporter par ses émotions de colère ou de peur est sans doute le meilleur atout pour pouvoir avancer dans sa construction humaine. 

La sanction : une main tendue 

La sanction c’est la main tendue vers celui qui se trompe, qui erre, qui se cherche. Une main tendue vers l’à-venir. C’est décontaminer l’erreur de la faute. La faute est lourde, moralement, culpabilisante et figeante. L’erreur est une tentative, l’acte de quelqu’un qui ne s’est pas résigné, qui apprend la liberté. L’erreur est un indicateur, donne des informations pour changer éventuellement de trajectoire, explorer d’autres voies. La main tendue de la sanction signifie : « On ne te laisse pas tomber ». 

Ni complaisance, ni dureté. 

Plus les transgressions sont lourdes et récurrentes, plus les adultes ont besoin d’être solides. L’éducation n’est pas la complaisance. Elle n’est pas non plus la dureté. Elle est acharnement d’espérance pour l’être en devenir qui se cherche avec maladresse et parfois souffrance. Pour l’accompagner, les adultes doivent apprendre à faire équipe autour de lui. Ne pas rester seuls, livrés à la toute puissance ou l’impuissance. La chance d’un enfant, c’est la rencontre d’adultes cohérents entre eux, honnêtes et crédibles. Point besoin d’être parfait. 

Quelques repères 

  • Une sanction doit prendre en compte les parties concernées. Avec quelques questions : qu’est-ce qui va permettre un progrès ? Vers quoi souhaitons-nous que le jeune avance ? Il s’agit certes de l’arrêter, mais au-delà il s’agit de lui proposer des issues qui clôturent l’évènement douloureux et donnent des perspectives alternatives. La pénibilité n’est pas un critère de sanction. Culpabiliser abîme et ternit l’estime de soi. Déculpabiliser en permettant de poser un acte réparateur est au contraire libérateur. Avec un maître mot : responsabilité. 
  • Apprendre la responsabilité civile. Restaurer la relation entre l’auteur et la ou les victimes. Restaurer la confiance en soi et la sécurité de la victime. Le garant se met alors en posture de médiateur et exige une réparation à la victime. Celle-ci peut être directe : excuses, aide, cadeau… Si l’auteur est dans l’impossibilité de faire lui-même réparation, ou si la victime n’est pas prête à accepter de reprendre relation avec lui, c’est au garant de prendre soin d’elle. Par l’écoute d’abord. Qu’elle puisse déposer ce qui est souffrant pour elle et reprendre pied. 
  • Apprendre la responsabilité pénale. Restaurer la relation entre l’auteur et le groupe d’appartenance. Restaurer la confiance et la sécurité dans le groupe et la sécurité du groupe. Le garant pose une contrainte de réflexion sur le sens de la règle ou de la loi transgressée. Cela peut passer aussi par une privation momentanée d’un droit lié à ladite règle. Mais aussi par l’attribution d’une responsabilité concrète qui permet l’accès au sens. Le groupe peut être mis à contribution pour aider l’auteur à progresser. La solidarité s’apprend. Il s’agit également de restaurer l’autorité du garant. 
  • Apprendre la responsabilité sur sa propre vie. Restaurer la confiance en soi et la sécurité de l’auteur. Ecouter d’abord. Comprendre ce qui se passe pour lui, entendre le sens de sa transgression. Puis l’accompagner qu’il puisse trouver d’autres modes d’expression de sa peur, de son angoisse ou de sa colère. Le jeune est un « apprenti citoyen ». Il ne peut seul se construire. Le garant qui nourrit le besoin de reconnaissance de l’auteur permet à celui-ci de trouver la force d’évoluer. Il apprendra alors à « obéir » (étymologiquement : entendre) et non à se soumettre ou se révolter. 

Donner une sanction juste demande de la créativité. Pour le garant, cela suppose aussi de ne pas être lui-même dans l’émotion qui ne permet pas la bonne distance et la prise en compte de chacun. La transgression peut aussi venir interroger le cadre et ce peut être l’occasion de le faire évoluer, de l’ajuster. 

Dans tous les cas, la transgression oblige à se demander: quelle société voulons-nous ? Que voulons-nous construire ? 

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La sanction, un outil éducatif incontournable, Annie Déan, 4 novembre 2011 

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