Analyse de pratique professionnelle : prendre du recul, oui mais comment ?

En effet, dans les pratiques professionnelles centrées sur la relation humaine, le stress, la présence et l’accumulation d’émotions sont particulièrement fréquents, et font parfois obstacle à la prise de recul, ce qui peut entraîner une fatigue et une usure professionnelle accrue, ainsi qu’une diminution de l’efficacité dans le travail. C’est pourquoi, les temps d’analyse de pratique, grâce au croisement des regards diversifiés du groupe, facilité par un intervenant extérieur, permettent d’avancer sur un triple objectif :

– ils aident à réguler les tensions émotionnelles en facilitant leur expression de manière périodique,

– ils fournissent l’occasion de revenir en équipe sur des moments difficiles vécus précédemment, pour pouvoir mieux les comprendre et prévenir leur ré-apparition,

– ils constituent une opportunité d’intégration des expériences du travail, et favorisent ainsi un développement des compétences professionnelles.

Comment tout cela est-il possible ? Les modalités mises en œuvre habituellement dans les séances d’analyse de pratique sont basées essentiellement sur des échanges verbaux autour d’un ou plusieurs « cas » proposés par les participants : interprétations, suggestions, pistes de solutions, éclairages théoriques de l’intervenant… La prise de recul ainsi obtenue lors d’un tel moment hors du contexte quotidien est généralement apprécié par chacun. Cependant, il est possible d’aller plus loin, en réduisant le décalage qui peut exister entre le concret des difficultés quotidiennes et le caractère abstrait des paroles échangées. (parler peux sembler facile, mais quand il faut agir, c’est autre chose…)

C’est pourquoi, il est intéressant d’ajouter à ces moments des mises en situation ou toute autre approche active. Ainsi, la pratique de jeux de rôle, et notamment avec la méthode du théâtre-forum, permet non seulement de revisiter les moments difficiles de façon vivante, pour mieux appréhender les phénomènes émotionnels qui apparaissent alors, mais aussi d’expérimenter concrètement les pistes de solutions envisagées, pour se préparer à les mettre en œuvre dans des conditions d’abord facilitées. Les interactions particulièrement intenses dans une telle pratique stimulent aussi largement la créativité collective, et démultiplient ensuite la richesse des échanges. Bien entendu, ce type de mise en situation suppose de poser un cadre qui évite les éventuels débordements : règle de non-jugement de toutes les interventions, éviter à la personne qui a vécu la situation-problème de rejouer son propre rôle (le recul serait ainsi insuffisant),…

De nombreux autres outils favorisant l’expression et la coopération peuvent avoir un intérêt équivalent : simulation, théâtre-statue, photo-langage, objet-langage, jeux coopératifs, création picturale ou plastique,… La diversité des supports utilisés peut ainsi constituer un élément de stimulation de la motivation du groupe.

La dynamique de partage ainsi créée lors de ces moments de ressourcement commun pourra également contribuer ensuite à une plus grande efficacité collective et un renouvellement du plaisir de travailler ensemble.

D’autre part, l’exploration de situations vécues précédemment pourraient donner l’impression que l’analyse de pratique est parfois trop tournée vers le passé. Or, de manière complémentaire, il est aussi possible de l’orienter dans une perspective d’avenir. En effet, les « études de cas » peuvent également concerner des projets futurs ou en cours. Ainsi, afin de préparer un entretien difficile, ou l’animation d’une réunion délicate, un travail de simulation peut être effectué, en explorant les diverses problématiques qui pourraient concerner la situation future, de façon à pouvoir désamorcer plus facilement les difficultés rencontrées le moment venu. Si le projet en est à la phase de conception, un temps consacré à la clarification des valeurs et objectifs pourra se révéler plus éclairant qu’un travail individuel ou en équipe restreinte sous la tension du quotidien (notamment grâce au recul des participants moins directement concernés par le projet). Cette exploration préalable pourra aussi être l’occasion d’élaborer les modalités de la concertation nécessaire à l’élaboration des bases du projet.

Les dispositifs d’analyse de pratique peuvent donc constituer non-seulement un support de régulation des situations-problèmes rencontrées, mais aussi un outil de gestion globale du travail, permettant, grâce à la prise de recul et l’élargissement des points de vue, de démultiplier le potentiel d’une équipe de travail.

Guillaume Tixier
IFMAN-Méditerranée

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