Accompagner les émotions des enfants
Marie Dol a récemment intégré l’IFMAN Co comme formatrice dans le pays basque. Directrice de crèche depuis plusieurs années, elle a une grande expérience dans le secteur de la Petite Enfance, et a accepté de répondre à nos questions. Elle nous fait part de son expérience et surtout de la nécessité d’accompagner les émotions de l’enfant. Elle animera prochainement une formation en basque sur cette thématique-là.
Si vous aviez deux messages à transmettre sur la thématique des émotions de l’enfant aux parents et aux professionnel.le.s de la petite enfance quels seraient-ils ?
Participer à l’accompagnement des premières années de vie de petits êtres humains est un travail passionnant et parfois assez remuant. Les jeunes enfants vivent par définition, avec nous, bon nombre de nouvelles expériences, et ce pour les premières fois de leur vie : séparation d’avec leurs parents, attachement secondaire à de nouveaux adultes, expérimentation des capacités de leur corps, découverte des relations avec d’autres enfants, premières relations amicales… Le tout-petit est d’abord un être sensoriel. Chez les bébés que nous accueillons à la crèche, les bruits, les gestes des enfants et des adultes autour d’eux, les lumières, les jouets ou activités proposés, les aménagements de l’espace, les ressentis corporels de bien-être ou de malaise, de faim ou de sommeil… tout est sujet à provoquer de l’étonnement, de la surprise, de la peur, de la tristesse ou encore du plaisir… Les émotions sont permanentes et les jeunes enfants les expriment sans filtre, bien souvent sans retenue : cris de joie ou d’excitation, pleurs, mouvements de repli du corps viennent nous dire le ressenti des tout-petits assez clairement, si on prend le temps de les observer. Puis au cours de la deuxième ou troisième année, l’apparition du langage et l’acquisition des codes de la communication humaine vont permettre à la majorité des enfants de commencer à exprimer plus consciemment ce qu’ils ressentent, et de faire des demandes aux adultes ou aux pairs, pour combler leurs besoins.
L’expression de leurs besoins par les tout-petits est une compétence qu’ils possèdent à leur naissance, et qui est indispensable à leur survie. Elle est cependant fortement influencée dès les premiers mois, par la capacité des adultes qui les entourent à prendre en compte leurs demandes. Si l’enfant acquiert par l’expérience la certitude que lorsqu’il exprime un besoin, les adultes y répondent dans un délai supportable, il continuera à faire des demandes et développera petit à petit ses compétences en communication. Ainsi, l’observation des enfants et la réponse à leurs besoins, qui semblent être des actions somme toute assez basiques dans nos métiers, sont en réalité primordiales pour le développement social et émotionnel de l’enfant. De plus, la verbalisation par les adultes de ce que l’enfant ressent va lui permettre de comprendre ses propres sensations corporelles, et en grandissant d’être capable de les exprimer avec des mots.
Vous êtes directrice d’un établissement de la petite enfance, quels constats pouvez-vous nous partager sur le développement émotionnel des enfants ?
La maturité cérébrale n’étant aboutie qu’autour de 25 ans, le jeune enfant n’a pas la capacité fonctionnelle de réguler par lui-même ses émotions. Lorsqu’elles sont intenses, elles viennent le submerger et il peut se retrouver dans un état de détresse intense. La colère, la tristesse, la frustration… peuvent l’amener à des crises qui s’avèrent déstabilisantes pour les adultes qui l’accompagnent. On entend parfois chez les parents, et encore un peu chez les professionnelles de l’enfance, le mot de “caprice”, ou bien “cet enfant s’écoute beaucoup”. Des étiquettes sont posées sur les enfants : la “râleuse”, le “rentre-dedans”, le “pleurnichard”, ou parfois la “débrouillarde” ou le “volontaire”. Or il est nécessaire de comprendre qu’il n’y a pas de volonté consciente de l’enfant à agir dans ce sens, et encore moins de possibilité pour lui de “manipuler” l’adulte dans son sens.
L’enfant arrive à la crèche, ou entre en maternelle, avec déjà de premières expériences qui ont contribué à forger sa personnalité : l’histoire de sa naissance, l’éducation qu’ont reçu ses propres parents, sa position dans la fratrie, les émotions traversées par les adultes qui l’ont entouré jusqu’ici… Winnicott* disait un bébé tout seul, ça n’existe pas. L’enfant est modelé par son environnement social et affectif. A cela s’ajoutent l’environnement éducatif : présence de jouets, de livres, de musique, d’écrans, de sollicitations extérieures… Ses capacités à supporter la survenue d’émotions fortes, sa propre sécurité intérieure, se trouvent forcément influencée par ces différents facteurs.
La posture de l’adulte devant un enfant qui exprime fortement ses émotions est parfois compliquée…pour quelles raisons ?
Les émotions exprimées par les jeunes enfants de façon parfois extrêmement intense, nous renvoient peut-être à notre propre vécu : notre tristesse a-t ’elle été entendue, avons-nous pu exprimer nos propres colères, était-il permis lorsque nous étions enfant de faire exploser bruyamment notre joie ?
De plus les émotions des enfants nous confrontent parfois à nos propres limites : nous ne savons pas comment les contenir, elles débordent et nous débordent. Nous pensons que notre rôle est de les « calmer », de les faire cesser, de les rendre moins bruyantes. Or pour que l’enfant apprenne petit à petit à les apprivoiser et plus tard à les réguler, il est indispensable qu’il les traverse. Notre rôle d’adulte est alors d’accueillir, de permettre l’expression de ces émotions, de mettre toute notre attention à leur écoute afin qu’elles puissent s’exprimer dans un cadre sécurisant. L’enfant doit pouvoir faire l’expérience que la présence de l’adulte est assez solide pour contenir toute cette énergie émotive, et que lui-même n’est pas détruit par l’émotion qui le traverse. Il doit pouvoir expérimenter des façons positives de sortir de ce grand remue-ménage intérieur et être rassuré sur le fait que sa relation à l’adulte référent n’en ressort pas abîmée.
Vous animez une formation « Accompagner les émotions des enfants » les 12 et 13 mars à Bayonne, en langue basque. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Sur le territoire de la Communauté d’agglomération du Pays basque, la plus récente enquête sociolinguistique, sortie en 2023, décompte 51 500 personnes parlant la langue basque : l’euskara. Depuis plus de cinquante ans, des écoles associatives non-confessionnelles, les ikastolas, offrent un système d’éducation en immersion en langue basque de la maternelle au lycée. Dans l’enseignement public et privé catholique, les filières bilingues et aujourd’hui également immersives se sont fortement développées dans les vingt dernières années. A l’entrée en maternelle, se sont près de 20% des enfants qui sont accueillis au quotidien uniquement en langue basque.
Dans le domaine de la petite enfance, l’office public de la langue basque a mis en place depuis une quinzaine d’année un système de label pour les crèches offrant un accueil en immersion ou bilingue en euskara.
C’est par conséquent un nombre important de professionnel.le.s qui accueillent chaque jour des enfants en langue basque. Alors que le besoin grandit, les formations professionnelles en euskara ne sont que très peu développées pour le moment. Or chaque langue porte en elle une vision du monde et des représentations culturelles propres. Se former dans une langue spécifique donne aux stagiaires non seulement un vocabulaire précis pour mieux accueillir les enfants, mais également des références adaptées au territoire sur lequel ils et elles exercent.
C’est avec beaucoup de joie que j’animerai donc cette première formation en euskara.
Marie DOL
Mars 2024
*Donald Woods Winnicott est un psychanalyste et prodigieux pédiatre anglais.
