Article – Conflit, violence, agressivité – les distinguer pour savoir agir

Conflit, violence, agressivité – les distinguer pour savoir agir
Plus que présentes dans les médias, les questions de la violence et de conflits constitue un enjeu majeur aujourd’hui. La violence, qu’elle soit physique, psychique ou symbolique, peut prendre des formes variées, souvent insidieuses. Le conflit, s’il est souvent perçu comme source de désagrément, possède aussi une dimension positive lorsqu’il est abordé de manière constructive et n’est pas forcément violent. La difficulté réside alors à distinguer ce qui relève de la violence de ce qui constitue un simple désaccord, et à adopter des stratégies adaptées pour désamorcer la violence ou transformer le conflit en une opportunité de compréhension mutuelle. A travers cet article, nous vous présentons comment ces différentes questions sont abordées notamment dans la formation Réguler les conflits de l’IFMAN Co.
Qu’est-ce que la violence ?
La définition communément admise est que la violence est ce qui blesse une personne physiquement ou psychiquement. Elle consiste parfois à nier l’autre dans ce qu’il est, dans son humanité. Ignorer l’autre, faire comme s’il n’existait pas, le rejeter, est l’une des plus grandes violences dites « ordinaires ». La violence n’est pas forcément intentionnelle, mais procède souvent de l’intention d’obtenir quelque chose ou d’asseoir une position dominante. Par exemple, une professeure célibataire, proche de la retraite, raconte que lorsqu’elle contredit le principal de son collège en public, il l’appelle « mademoiselle », alors qu’en général il l’appelle « madame ». La violence naît souvent de l’absence d’émotions d’une personne trop centrée sur le but à atteindre. Face à la violence, la réaction ajustée est de mettre des limites : dire stop, remettre du cadre, sanctionner si besoin. Il peut être intéressant de recréer un lien d’empathie pour que l’auteur de l’acte de violence comprenne la portée émotionnelle de ce qu’il a fait, et décide de faire autrement. La sanction permet de revenir au cadre, de responsabiliser l’auteur, de réparer les dommages causés, de restaurer les relations.
Cependant, il est parfois difficile de répondre à la question « est-ce violent ? ». Par exemple, une personne va taquiner quelqu’un avec l’objectif de rire avec cette personne, et non pas contre elle, mais cette personne se sentira blessée. Selon notre histoire, notre expérience, nous sommes plus ou moins sensibles à certaines remarques, surtout si c’est la 500ième du même genre. Le fait d’être sans cesse ramené à une certaine condition (de genre, de couleur, etc.) produit une forme de violence, comme si par exemple l’identité d’une personne noire était réduite à cette couleur de peau. C’est ce « racisme ordinaire » qui peut être très mal vécu à force de répétitions. La question des comportements sexistes est sans doute la plus délicate : à partir de quand peut-on dire qu’une parole, un acte est violent ? Là aussi, c’est la répétition qui crée la situation de violence et de domination. Le premier pas dans toutes ces situations de violence ordinaire est probablement de témoigner : « j’ai entendu cette remarque 500 fois dans ma vie », « quand tu dis cela, je me sens… », ou encore de donner des faits « Les blagues sexistes répétées dans un milieu professionnel créent un terrain propice à une vision sexiste et des inégalités de salaires ».
Faire du conflit constructif
Le conflit ne mène pas nécessairement à la violence. C’est d’abord une situation de confrontation, ou de blocage, face à un désaccord où personne ne veut lâcher. Les situations conflictuelles sont difficiles à vivre car nous font éprouver des émotions désagréables. Le risque du conflit est de rester un affrontement vain et de dégénérer en violence : en moqueries, insultes, ou en non-dits, en rejets. Mais le conflit est aussi ce qui porte l’espoir de sortir d’une situation injuste, d’une oppression, d’une domination. C’est l’objectif d’un conflit social par exemple : plutôt que de laisser faire l’injustice, il s’agit d’entrer dans le rapport de force pour conduire les protagonistes du conflit à négocier. C’est bien ce qu’il s’est passé dans le conflit opposant les Noirs de Montgomery aux compagnies de bus dans les années 50. Rosa Parks refusa de se lever pour laisser place à une personne blanche dans son bus quotidien, déclenchant un boycott des bus par l’ensemble des Noirs de Montgomery, emmenés par Martin Luther King : le rapport de force était établi. Après 380 jours de boycott et une quasi-faillite de la compagnie de transport, l’État vota les lois antiségrégationnistes dans les bus.
Comme Charles Rojzman, nous pensons qu’il faut « sortir de la violence par le conflit ». En cas de désaccord, faire du conflit constructif, c’est-à-dire expliciter les termes du désaccord, elle la seule manière d’en sortir par le haut, de mieux se comprendre, de trouver une issue positive. Sarah Schulman dénonce dans son dernier livre la perversion à dénoncer une agression alors que l’on vit un conflit ou un simple désaccord : dans notre société, nous avons de plus en plus tendance à nous offusquer et à prendre à témoin notre environnement, conduisant à faire le vide, à « ghoster », une personne qui serait un agresseur, alors que nous vivons simplement un désaccord. Parfois, c’est la peur de voir le conflit dégénérer en violence qui nous fait éviter la confrontation. Au final, ce que propose l’IFMAN, c’est de se former, de s’outiller pour réussir à faire du conflit constructif.
Violence ou agressivité ?
L’agressivité est encore une notion différente. C’est avant tout une réaction émotionnelle à une situation où nos besoins sont menacés. Par exemple, si une jeune balance à un éducateur déjà éprouvé par sa journée « vous ne servez à rien ! », cela peut déclencher l’agressivité de l’éducatif. Reynaldo Perrone définit plusieurs niveaux d’agressivité, et en négatif plusieurs niveaux de passivité. Nous pouvons identifier deux niveaux résolutoires : en positif, l’affirmation de soi, ou assertivité, qui permet d’affirmer ses positions, son désaccord, ou son opinion, sans juger l’autre « Ce n’est pas ce que je pense, mais si tu es déçu de quelque chose je veux bien t’écouter ». En négatif, s’accommoder, lâcher prise, laisser faire est parfois utile. Nous allons éviter une agressivité problématique (qui pourrait être dans notre exemple « et toi, à quoi tu sers ?? ») qui produit une escalade vers l’agression, ou une passivité problématique qui consiste à laisser l’autre nous faire violence sans réussir à réagir. Nous pouvons faire baisser le niveau d’agressivité d’une personne si nous l’écoutons, nous prenons en compte ce qu’elle vit émotionnellement, avant de regarder avec elle son problème ou son désaccord.
En conclusion, favoriser un conflit constructif permet de transformer les désaccords en opportunités de compréhension mutuelle, plutôt qu’en escalades violentes. Travailler l’affirmation de soi, l’écoute attentive et la mise en place de limites contribue à augmenter notre capacité apaiser les tensions. Notre pédagogie de l’expérimentation permet aux participant.es de travailler ces compétences dans nos formations. Le développement de ces compétences socio-émotionnelles est indispensable pour vivre et faciliter la vie collective dans les domaines personnel ou professionnel et donc éviter toutes formes de violence.
Annie LE FUR
Coordinatrice pédagogique
Mai 2025